Refusée à la SQ : « T'es une femme ! »
- Estelle Borgia
- 16 mars
- 3 min de lecture
Dans les années 70, être une femme et vouloir être policière relevait de l’insolence. J’avais tout pour être recrutée, sauf le bon chromosome. Je m’appelle Marie Sophie Royer et voici mon histoire.
Rencontre avec ce gardien du patriarcat
Septembre 1973. Secondaire 1. Cours de ECR.
L'orienteur nous interroge sur les carrières qui nous inspirent.
Armée de ma candeur préadolescente, je déclare fièrement que je veux être policière. Tout comme mes camarades de classe, le professionnel rit. Beaucoup trop. Une fois remis de ses émotions, et constatant que je suis sérieuse, il me conseille de trouver un autre métier, car « les femmes ne sont pas admises dans la police ».
Je suis tenace : « Alors, je serai la première ! »
Un dossier impeccable

Je vis dans un milieu familial modeste. Par conséquent, c'est faute de moyens financiers pour faire la Technique policière au Cégep que j'obtiens facilement ces deux diplômes :
Secrétaire de service ; l’orienteur aurait été fier de moi😇
Commis comptable ; ça, ça aurait peut-être été limite trop masculin ?🤔
J'ai donc essayé de me conformer aux attentes de la société de l'époque, jusqu'à ce qu'une autre option s'offre à moi : postuler pour la Sûreté du Québec comme candidate conventionnelle. À l’époque, cette voie permettait de s'immiscer dans le réseau sans avoir fait la technique policière, à condition de réussir une série de tests écrits, physiques, médicaux et une entrevue.
Je passe à travers toutes les étapes de recrutement avec succès :
✔ Examens écrits : réussis haut la main.
✔ Tests physiques : condition physique excellente.
✔ Examen médical : aucun problème.
✔ Entrevue finale : Trois hommes en chemise blanche, un regard glacial. Je réponds avec aplomb.
Je suis confiante.
Une décision suspecte
Je perçois évidemment l'attente de la réponse à ma demande d’admission comme interminable. Dans les faits, c'est peu de temps après que je reçois enfin ma lettre. Je ne retiens que deux mots, aussi inattendus que suspects : non retenue.
Aucune explication. Pas d'encouragement. Pas d’invitation à réessayer plus tard. Non seulement je suis déçue, je suis aussi perplexe. Comment puis-je avoir réussi haut la main toutes les étapes du processus d’embauche et être refusée à la fin ?🧐
Déterminée à comprendre, je demande un "debriefing" avec le responsable du recrutement.
Après quelques esquives, il finit par me lancer : "T'es une femme !" Et il me conseille d'attendre que les mentalités évoluent.
Cette suggestion ne pas tombe dans l'oreille d'une sourde. Quelques années plus tard, question de vérifier l'évolution des mentalités, je lui rends visite. Encore deux mots : Trop tard.
Désormais, seule la technique policière permet d'accéder à la Sûreté du Québec. Je vous laisse imaginer mon indignation.
Pas pire pour une femme
Pompière volontaire
Sans jamais abandonner mon besoin de servir, je prends une voie différente en devenant pompière volontaire. Il s'agit aussi d'un métier réservé aux hommes, mais là, on reconnaît ma valeur. Formations, prévention incendie, formation d'officier non urbain, directrice du service incendie de ma municipalité... J'y fais ma place et y reste 33 ans.
En 2014, je reçois la Médaille de pompiers pour services distingués de la Gouverneure générale du Canada.
La SQ coûte que coûte
Pendant 18 ans, j'occupe un poste administratif à la Sûreté du Québec. Certains policiers me confient qu'ils m'auraient très bien vue policière. Paraît que j'étais juste née trop tôt.
Agente de sécurité
Après ma retraite, je deviens agente de sécurité et travaille dans plusieurs Palais de justice du Québec.
Police Pistol Combat
Un jour, un collègue policier me propose d'essayer divers pistolets et revolvers. Je découvre une nouvelle passion : le Police Pistol Combat (PPC), une discipline inspirée de l'entraînement policier. Avec mon mari, nous parcourons le Canada et les États-Unis pour participer à des compétitions.
Résultat : 🏆 Trois championnats provinciaux 🏆 Un championnat national.
Un patron de la Sûreté du Québec dit alors à un journaliste de La Tribune : « Je suis probablement le directeur de police le mieux protégé du Québec ! »
Un message aux pionnières et aux générations futures
Aujourd'hui, je remercie toutes celles qui ont osé avant moi et toutes celles qui continuent à ouvrir la voie. Leur courage a permis aux femmes d'intégrer des milieux longtemps inaccessibles.
Merci à celles qui ont changé les règles du jeu.
Et à nous toutes, femmes : Nous n’avons pas à demander la permission d’exister.
Continuons. Rêvons. Persévérons.
Rédaction : Marie-Chantal Tanguay mcredaction.com
Vous avez une histoire à faire raconter ? Communiquez avec nous au capitaineborgia@gmail.com.
Comentarios